Maison d'Abraham à Abou Dhabi : les Emirats s'engagent pour la tolérance religieuse et la coexistence

Maison d'Abraham à Abou Dhabi : les Emirats s'engagent pour la tolérance religieuse et la coexistence

L'une des retombées vertueuses des Accords d'Abraham est sans conteste l'ouverture aux cultes minoritaires dans le Golfe. Les Emirats arabes unis font même figure d'exemple en la matière, reconnaissant les deux autres religions abrahamiques que sont le judaïsme et le christianisme. Plus qu’un symbole, la Maison d’Abraham marque l’engagement concret du pays en faveur du dialogue et des multiples échanges qui en découlent.

La Maison d'Abraham : un complexe religieux et touristique financé par les Emirats



Photo : Abrahamic Family House

L'île de Saadiyat à Abou Dhabi héberge, depuis son inauguration en février 2023, un curieux complexe de 6500 m2. Celui de la maison d'Abraham, conçue par l'architecte de renom Sir David Adjaye, à qui l'on doit la Wall Street Tower à New York ou encore le National Museum of African American History and Culture à Washington.

Construit dans le sillage de la déclaration sur « la fraternité humaine pour la paix mondiale et le vivre-ensemble » du Pape François et de l’imam de l’Université islamique du Caire
al-Azhar, Ahmad al-Tayeb, en visite aux Emirats le 24 février 2019, le site abrite une mosquée, une église et une synagogue, destinées à accueillir les trois cultes.


Chaque bâtiment porte le nom d'une figure historique liée au dialogue interreligieux et à la coexistence : Saint François d'Assise (dont le souverain pontife revendique l'héritage), Moïse Ben Maimon (Maimonide) et Ahmad al-Tayeb. François d'Assise, fondateur de l'ordre prêcheur des Franciscains au XIIIe siècle en Italie, avait été envoyé comme ambassadeur auprès du sultan d'Egypte Al-Kâmil à Damiette.

Maimonide, théologien et métaphysicien né à Cordoue, à qui l’on doit le code de la loi juive Mishné Torah, a quant à lui enrichi son cheminement philosophique par ses lectures des commentateurs musulmans d'Aristote. Entièrement financé par l’Emirat, le montant du projet est gardé secret. Situé non loin du musée du Louvre Abou Dhabi, il s'inscrit dans la démarche de développement culturel et touristique du pays, amorcée depuis les années 2010 et accélérée par les Accords d'Abraham.

Depuis leur signature en août 2020, ce sont près de 500 000 touristes israéliens qui se sont rendus dans le pays et on estime à environ 2 000 le nombre d’expatriés juifs qui sont venus grossir les rangs de la population d’Abou Dhabi, à 80% étrangère. Depuis son ouverture au public, la Maison d’Abraham est devenue l’un des principaux sites touristiques de la capitale émirati.


Un pari architectural audacieux et réconciliateur


Construits à la même hauteur et de même volume pour « effacer la différence hiérarchique » d’après l’architecte, les trois bâtiments représentent l’unité dans la diversité. Leur conception « s’inspire des points communs aux trois confessions, mettant l’accent sur les similitudes plutôt que sur les différences ».

Si le style et les matériaux utilisés sont résolument modernes (bois, calcaire, béton, bronze), ils reprennent les codes traditionnels en termes d’orientation géographique, de formes
et de symboles religieux. Tournée vers l’Est et son soleil levant, symbole de la Résurrection, l’église Saint-François rend hommage, par son minimalisme et l’extrême simplicité de son crucifix et mobilier en chêne ou marbre, au dépouillement prôné par le Saint d’Assise.

Seul l’autel est inspiré de celui de la basilique Saint-Pierre de Rome, clin d’œil audacieux au patrimoine de la Ville éternelle.

Regardant en direction de Jérusalem, la synagogue Maimonide peut autant accueillir les cultes ashkénaze que sépharade. L’Arche d’Alliance est représentée par un
rideau de bronze, aussi bien inspirée d’une souccah que d’une houppah, tandis que les colonnes croisées de la façade suggèrent également une tente de prière.



Orientée vers la Mecque, la mosquée Ahmad al-Tayeb ne possède pas de minaret mais abrite des plafonds voûtés et des colonnes, ainsi que de nombreux motifs de moucharabiehs, très prisés dans l’architecture islamique. Sa façade est percée de sept arches, chiffre symbolique dans les trois monothéismes.

Les trois lieux de culte entourent un jardin qui fait la part belle à l’air et à l’eau, « éléments de la création ». Un centre de recherche et d’archives ainsi qu’une bibliothèque accueillent également des événements et des colloques. La Maisond’Abraham, comme l’explique son site internet, a vocation à soutenir et promouvoir« la riche histoire des échanges interreligieux », autant d’un point de vue culturel et cultuel qu’intellectuel.


Un exemple pour la reconnaissance des minorités religieuses dans la région ?


Dans une région où l’islam est la religion majoritaire (à l’exception d’Israël), la liberté de culte n’est reconnue ouvertement que dans l’Etat multiconfessionnel qu’est le Liban, le royaume qu’est le Maroc ou des démocraties comme l’Etat hébreu ou la Turquie. L’islam comme religion et système juridique d’Etat reste la norme et restreint voire interdit les autres monothéismes.

Au Moyen-Orient, le judaïsme et le christianisme ne jouissent pas de statuts semblables, selon les rapports politiques entretenus avec Israël ou le Vatican notamment. Les minorités religieuses (quasi inexistantes dans certains Etats) luttent donc pour leur survie, quand elles ne sont pas instrumentalisées par les pouvoirs en place.

Les dynamiques socio-économiques à l’œuvre dans le Golfe résultent d’une prise de conscience des dirigeants : la fin de l’ère pétrolière nécessite le déploiement d’une nouvelle économie axée sur l’innovation et la nécessité de parler un langage commun.

C’est précisément ce tournant que les Emirats arabes unis observent depuis ces quinze dernières années en s’engageant pleinement dans une logique de coopération vertueuse, dont les retombées ne se limitent pas qu’aux buildings scintillants de Dubaï.

Si l’islam concerne 75% de la population, seulement 10% des habitants sont de nationalité émiratie. Soit une mosaïque de communautés et de minorités diverses qui participent au dynamisme du pays.

En normalisant ses relations avec Israël, la fédération fait délibérément sienne cet horizon de paix et la possibilité d’écrire un nouveau récit, qui passe aussi par la reconnaissance des autres descendants d’Abraham et de leurs apports respectifs à l’histoire pré-islamique.

C’est encore dans ce sillage que le ministère émirati de la Tolérance, créé en 2017, associe au portefeuille celle de la Coexistence en 2020, pour renforcer, entre autres, le rôle support de cette dernière en faveur de la croissance économique. Inenvisageable il y a de cela trois décennies, la Maison d’Abraham est une preuve tangible que la coexistence continue de s’écrire, de se construire et de se vivre dans la péninsule arabo-persique.

Sources :


https://www.abrahamicfamilyhouse.ae/about-us


https://www.adjaye.com/work/the-abrahamic-family-house/

https://www.lorientlejour.com/article/1411234/a-abou-dhabi-la-maison-dabraham-symbole-dunite-des-religions.html

How the Abrahamic Family House in Abu Dhabi seeks to encourage interfaith dialogue and promote harmony (arabnews.com)

https://www.newsweek.com/church-mosque-synagogue-abu-dhabi-1461097

Home - Ministry of Tolerance & Coexistence

Pour aller plus loin :


https://www.abramundi.org/articles/house-of-one


https://www.abramundi.org/articles/la-renovation-du-patrimoine-juif-au-maroc


https://www.abramundi.org/articles/espoir-audacieux-pour-la-fraternite-humaine