La maison de la sagesse : un phare de connaissance et de tolérance à Bagdad
Rêve et révélation
Au commencement : Bagdad. Fondée en 762, la ville était alors une métropole prospère et un centre névralgique du commerce, attirant des savants du monde entier. Son envergure était telle qu’elle comptait déjà plus d’1 million d’habitants, contre 50 000 à Rome qui était alors la plus grande ville d'Europe.
Au coeur de la ville, La Maison de la Sagesse a été établie sous le califat d'Harun al-Rashid (786-809), mais c'est sous le règne de son fils, Al-Ma'mun (813-833), surnommé le sage de Bagdad, que la bibliothèque atteint son apogée.
Al-Ma'mun est un passionné de littérature au point qu’il passe ses journées à lire et étudier. La tradition raconte qu’il était si féru de livres qu’il accepta de cesser la guerre contre les Byzantins en échange d’un rare manuscrit qui manquait à sa collection. Un soir, Al-Ma'mun fait un rêve dans lequel Aristote lui apparaît.
C’est suite à cela qu’il décide d’ouvrir la bibliothèque à tous les savants de l’époque, qu’ils soient juifs, chrétiens ou zoroastriens.
Érudition et tolérance
La Maison de la Sagesse n'était pas simplement une bibliothèque ; elle était un véritable centre de connaissances où des savants de différentes religions collaboraient harmonieusement. Cette diversité reflétait la vision inclusive des Abbassides, qui considéraient la quête de la connaissance comme un devoir transcendant les barrières religieuses et culturelles. Al-Ma'mun lui-même disait que "la connaissance est le but le plus noble et doit être recherchée de toutes parts". Ainsi, la Maison de la Sagesse a joué un rôle crucial dans la préservation et la transmission du savoir antique. Les savants y ont traduit des œuvres majeures de la philosophie grecque, de la médecine persane, des mathématiques indiennes et des sciences naturelles.
Parmi les traducteurs célèbres, on trouve Hunayn ibn Ishaq, qui a traduit les œuvres de Galien et d'Hippocrate ou encore Al-Khwarizmi, dont les travaux en algèbre et en astronomie ont eu une influence durable sur les sciences.
Les activités ne se limitent pas à la traduction et à la révision des ouvrages existants ; par exemple, Hunayn Ibn Ishaq enrichit également le vocabulaire arabe en introduisant une terminologie scientifique novatrice. Il adapte des mots grecs, comme philosophia qu'il transforme en falsafa, et crée des équivalents de sens adaptés au contexte arabe. Par exemple, pour le terme « pylore », il se base sur son sens étymologique grec (gardien) et utilise le mot arabe bawab (portier).
En plus des traductions et de l’enrichissement des langues, de nombreuses disciplines scientifiques sont mises à l’honneur. En effet, les mathématiciens de la Maison de la Sagesse ont par exemple introduit le système numérique indien (qui deviendra plus tard connu sous le nom de chiffres arabes) en Europe.
Al-Khwarizmi, souvent considéré comme le père de l'algèbre, a écrit "Kitab al-Jabr wa-l-Muqabala" qui peut être traduit par "Le Livre de l'Addition et de la Soustraction”, une œuvre fondatrice des mathématiques
Déclin et Héritages
À la suite de la mort d'al-Mamun, la Maison de la sagesse commence un lent déclin qui culmine avec sa destruction lors de l'invasion mongole.
En 1258, l'armée mongole dirigée par Hulagu Khan, le petit-fils de Gengis Khan et premier souverain mongol de l'Iran, saccage Bagdad. De nombreux manuscrits précieux sont jetés dans le fleuve Tigre, au point de noircir ses eaux. Anticipant ce désastre, l'astronome perse Nasir al-Din al-Tusi (1201-1274) parvient à sauver plusieurs milliers de manuscrits en les transférant à l'observatoire astronomique de Maragha, construit par Hulagu en 1259 dans le nord-ouest de l'Iran.
Cet observatoire devient alors un nouveau centre de savoir, où les manuscrits sauvés continuent de nourrir les esprits des savants de l'époque.
La Maison de la sagesse, précurseur en matière de traduction et de diffusion du savoir, a inspiré au fil des siècles de nombreuses initiatives similaires à travers le monde, tant en Orient qu'en Occident. Les centres de traduction et de connaissances se sont multipliés, notamment en Espagne musulmane avec la célèbre École de Tolède, où des savants musulmans, chrétiens et juifs ont travaillé ensemble pour traduire et préserver les œuvres classiques.
De plus, la tradition de la Maison de la sagesse a influencé les universités européennes du Moyen Âge. Des institutions comme l'Université de Salerne en Italie et l'Université d'Oxford en Angleterre ont été inspirées par le modèle de Bagdad, en particulier dans leur approche de la médecine, de l'astronomie et de la philosophie. La plus récente de ces initiatives est la "Maison de la sagesse – Traduire", fondée par la philosophe et académicienne française Barbara Cassin à Paris, visant à perpétuer l'esprit de cette bibliothèque légendaire à travers la promotion de la traduction et du dialogue interculturel.
Cette institution moderne continue de célébrer l'héritage de la Maison de la sagesse en réunissant des traducteurs et des chercheurs de divers horizons pour travailler ensemble sur des projets de traduction qui favorisent la compréhension mutuelle et la coopération internationale.
Ainsi, la Maison de la sagesse ne représente pas seulement un moment historique de la culture islamique, mais elle symbolise également une vision intemporelle de la recherche du savoir et de la coexistence pacifique entre les cultures. Elle rappelle que l'échange de connaissances et la collaboration entre différentes civilisations sont essentiels pour le progrès de l'humanité.
Sources :
https://www.bbc.com/afrique/monde-55396995
https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Maison-de-la-sagesse.html