Fair-Paix
Nous avons tous frissonné à chaque coup d’envoi, nous nous sommes tous enflammés à chaque but… Surtout, ce mondial s’est révélé historique en ce qu’il a placé le monde arabe sous le feux des projecteurs : le Lion de l’Atlas devient la première équipe africaine à se qualifier en demi-finale, tandis que l’Arabie Saoudite bat l’Argentine 2-1…
Les matchs s’achèvent, mais le jeu est loin d’être fini. Les derniers événements sportifs ont ébréché les barrières politico-religieuses qui séparaient les différentes nations de la Méditerranée.Athlètes israéliens, palestiniens, émiratis, saoudiens - et bien d’autres encore - s’affrontent désormais sur un terrain beaucoup plus fertile que celui de la division : le terrain du fair-play.
Pour toutes les cultures le sport est mythique
Le sport rassemble bien plus qu’il n’éloigne. En témoigne l’intérêt croissant qui lui est porté dans les nationalismes tant arabes que juifs. Remède contre la faiblesse, en Europe, les premiers clubs de sports sionistes ont pour aspiration de renouer avec les héros légendaires de l’histoire juive, notamment : Judas Maccabée. Parallèlement, le mouvement arabe sportif des années 1930 tend lui aussi à mettre en avant les figures emblématiques de son histoire, telles que Saladin. Les deux peuples adoptent donc sans le savoir la même perspective : montrer au monde que leur force physique prolonge le mythe. Cette forme d’hubris transparait de façon sous-jacente dans toutes les compétitions d’aujourd’hui, les JO en étant la forme la plus éclatante.
“Le sport est un pont qui franchit les différences. On se respecte avant tout”
Les matchs disputés entre les équipes ne se résument pas à un combat pur et simple. C’est là tout le paradoxe du tournoi sportif : des pays se battent pour obtenir la victoire, mais cette lutte implique des règles strictes, garantissant le respect des adversaires. Une guerre pacifiée donc. Shakespeare est le premier à désigner ce “rapport courtois entre guerriers” sous le nom de fair-play (dans sa pièce Le Roi Jean). Au football, ce principe est placé au coeur du dispositif. Lors du Mondial, les équipes se sont livrées une bataille sans merci, ce qui n’empêche pas Walid Regragui, sélectionneur du Maroc, de déclarer après la défaite de ses joueurs face aux Bleus “Aujourd’hui la France est le meilleur pays de football au monde”. Autre exemple, en 2018, avant même la signature des accords d’Abraham, la ministre israélienne de la Culture et des Sports se rendait à Abu Dhabi, où pour la première fois, Sagi Muki affichait les couleurs du drapeau bleu et blanc. Pour ce judoka doublement champion d’Europe, “le sport est un pont qui franchit les différences. On se respecte avant tout”. L’amitié qu’il noue avec son adversaire Iranien Saied Mollaei en est la preuve.
La diplomatie du football
En plus de renforcer les liens entre nations, la diplomatie du football fait également ses preuves en interne. En Israël, un tiers de l’effectif du football masculin est composé de joueurs issus des quartiers et villages arabes. En 2004, c’est d’ailleurs l’équipe arabe du club Ittihad Abna Sakhnin qui remporte l’Israel State Cup et représente le pays en Europe la saison suivante. Dans ce cadre, le football se présente comme un champ des possibles. Les immenses opportunités qui s’ouvrent aujourd’hui aux joueurs sont le pendant d’un apaisement général des tensions régionales. Diaa Sabia, du club Hapoel Be’er Sheva, club reconnu pour sa longue histoire de coopération entre Juifs et Arabes, est le premier footballeur israélien d’origine palestinienne à jouer dans un championnat arabe. Rien n’est infaisable.
La Palestine n’est pas mise sur la touche
Bien qu’elle n’ait pu participer à cette Coupe du monde, la Palestine était bel et bien présente dans les gradins et sur la pelouse du stade d’Al-Bayt. Des drapeaux portant ses couleurs ont été brandis par les supporters et par l’équipe Marocaine. Un message : “rejoignez-nous sur le terrain !” Ce message prend tout son sens à la lumière de la rencontre Palestine-Arabie Saoudite qui s’est tenu cet automne à Al Ram, près de Jérusalem. Si cet événement esquisse le rapprochement entre le Royaume du Golfe et Israël, pour l’entraîneur des Palestiniens, ce match a surtout été l’occasion de donner plus visibilité à son équipe. Au delà de la sphère footballistique, la Palestine a aussi brillé lors des Jeux Olympiques de Tokyo. Cinq athlètes originaires de Cisjordanie, Gaza, Jérusalem se sont illustrés à la natation, au sprint ou encore au judo.
L’Iran, exclu de toutes les compétitions de La FIJ pour quatre ans : ultime défaite du régime des Mollahs ?
L’esprit sportif est celui du fair play, du respect de l’autre, de l’ouverture culturelle… Comment l’Iran des Mollahs s’intègre-t-il dans ce tableau ? Le gouvernement Chiite refuse de laisser ses judokas et ceux d’Israël concourir sur le même tatami. Les menaces exercées à l’encontre de son propre représentant, Saied Mollaei, l’ont contraint de quitter les JO de Tokyo. Le judoka a depuis tourné le dos à son pays en intégrant l’équipe mongolienne. La fédération internationale de judo a réagi immédiatement avec une sanction irrévocable : l’équipe nationale iranienne est officiellement exclue de toutes les compétitions pour quatre ans.
Et si le sport mettait un coup d’arrêt à l’autoritarisme ? En marge de cette peine imposée par une association internationale, l’Iran fait désormais face à la désagrégation de ses propres joueurs. L’image forte que l’on retiendra de la Coupe du Monde 2022 est sans aucun doute celle de la vaillante équipe iranienne campée dans un mutisme provocateur quand retentit son hymne national. À l’heure actuelle, ce silence s’entend comme un soutien aux manifestations qui font rage dans le pays. Ce geste symbolique est suivi dans plusieurs autres sports : au volley ball, au basket et même au beach soccer. Cette tendance fait écho au match de football du 21 juin 1998 entre Iran et États Unis. Alors que les tensions entre les deux pays sont à leur comble, les joueurs iraniens arrivent sur le terrain, une rose blanche à la main : symbole de paix qu’ils remettent aux américains. Cet épisode démontre que le peuple n’est jamais acquis à son pouvoir, les footballeurs sont des esprits libres et savent où se cache leur véritable adversaire. Près de vingt ans ont passé mais le combat reste le même.
Les Iraniens 1, Téhéran 0.
Sources :
https://conseilsport.decathlon.fr/dou-vient-lexpression-etre-fair-play
https://www.dw.com/en/what-does-the-israel-uae-normalization-agreement-mean-for-football/a-55051626
https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2012-2-page-47.htm
https://www.sofoot.com/palestine-arabie-saoudite-un-evenement-historique-475405.html