"Fois deux" en deux ans
« Products from Israël ». Voici ce qu’on peut lire au-dessus de la supérette Almaya, installée sur Al Marsa Street à Dubaï. Dans cette épicerie achalandée en houmous, tehina et autres biscuits israéliens, les accords d’Abraham portent leurs fruits. Deux ans après la signature de ces accords historiques entre Israël et les Émirats Arabes Unis (EAU) d’une part et Israël et Bahreïn d’autre part, suivis d’accords avec le Maroc et le Soudan, la normalisation des relations diplomatiques a ouvert la voie à des échanges croissants de plus en plus denses. Les routes du commerce se déploient et croisent désormais celles de la coopération scientifique et culturelle sur l’ensemble du bassin méditerranéen.
Tech : des collaborations qui se multiplient
Cette nouvelle donne bénéficie en premier lieu au secteur de la technologie. Initié par les EAU, un programme gouvernemental de 545 millions de dollars dédié au développement du secteur de l’innovation ouvre de nouvelles opportunités pour les entreprises. À ce titre, une plateforme d’investissement basée à Jérusalem, « Our Crowd », ouvrira prochainement un centre d’IA à Abu Dhabi. Réciproquement, Israël accueille la société émirienne G42, spécialiste de l’IA appliquée à la sécurité.
Cette dynamique profite aussi aux entreprises de la tech qui œuvrent dans le secteur de la transition climatique. Ainsi, l’entreprise marocaine Gaïa Energy s’est associée à l’entreprise israélienne H2PRO, envisageant, selon les mots du président de Gaïa “de combiner la puissance des actifs développés par Gaïa avec la technologie de production d’hydrogène vert d’H2PRO, pour devenir les leaders de la production d’hydrogène vert en Afrique”.
Une Terre en commun, des défis climatiques à relever ensemble : pour les entrepreneurs, les accords d’Abraham seraient-ils porteurs d’une nouvelle Alliance ?
Une forte croissance des échanges commerciaux
Dans ce contexte, les échanges commerciaux se multiplient et prennent de l’ampleur. Fin 2021, l’ensemble des échanges commerciaux entre les EAU et Israël s’élevaient à plus de 700 millions de dollars.
En ce sens, Muhammed Al-Khaja, ambassadeur des EAU, estime que son pays deviendra l’un des cinq plus gros partenaires d’Israël d’ici la prochaine décennie. L’on peut également se réjouir de l’abolition des barrières douanières entre les deux pays pour 96% des échanges ainsi que de la mise en place d’une ligne maritime directe suite à la dernière déclaration de Dubaï Ports World. Cette initiative augmentera les flux de marchandises qui transitent déjà d’un port à l’autre. Ces échanges sont dès aujourd'hui rendus possibles par une entreprise comme Barakat Group, leader des importations de fruits et légumes frais aux Émirats, qui propose des produits israéliens aux hôtels et marchés locaux qu’il approvisionne.
Les transactions se diversifient puisqu’à ces flux de produits alimentaires s’ajoute un commerce de biens de luxe. À cet égard, les diamants bruts représentent 55 % des importations israéliennes.
Et le Maroc n’est pas en reste. Depuis la reprise des relations diplomatiques, les échanges commerciaux avec Israël ont atteint 117 millions de dollars en 2021 et les exportations ont augmenté de plus de 200% par rapport à 2020. “Depuis un an, c’est une histoire d’amour qui s’est dévoilée des deux côtés, en tous points de vue : économique, culturel, touristique…” confie David Ouaknine Kenan, président de l’association des juifs de Marrakech, au journaliste Sami Boukhelifa.
Une ouverture culturelle et religieuse
Le développement des relations commerciales s’accompagne d’une plus grande entente religieuse. Et les accords d’Abraham n’y sont pas pour rien … Dans les pays musulmans signataires, la vie des communautés juives et chrétiennes a été améliorée. Ainsi, dans un marché populaire au cœur de Manama, au Bahreïn la synagogue ancestrale fraîchement rénovée a pu célébrer l’office du Chabat pour la première fois depuis 74 ans. Aux Émirats, la première crèche publique juive a été inaugurée et dès à présent, les Dubaïotes peuvent inscrire leurs enfants à “Mini Miracles”. Situé à 400 mètres de la Mosquée Al Farooq Omar Bin Al Khattab, cet établissement enseigne aussi bien l’hébreu que l’arabe à la nouvelle génération. Ce projet éducatif participe à la construction d’un “Moyen-Orient cosmopolite”, une vision défendue par Reem Al Hashimi, ministre de la coopération internationale, lors de la présentation de l’Exposition universelle de 2020 à Dubaï.
Des accords qui influencent l’ensemble du bassin méditerranéen
Les bienfaits des accords se répercutent sur tout le pourtour méditerranéen, de l’Arabie Saoudite à la Jordanie en passant par le Liban et la Turquie. Ainsi, depuis la signature des accords d’Abraham, l’on assiste à un rapprochement progressif entre Israël et l’Arabie saoudite. Alliées des États-Unis et unies de facto contre leur ennemi commun, l’Iran des mollahs, ces deux puissances régionales normalisent leurs relations : ouverture de l’espace aérien entre Riyad et Tel Aviv, délégations d’hommes d’affaires israéliens en visite officielle sur le sol saoudien pour développer des échanges commerciaux et sécuritaires entre les deux pays… Et à l’instar de la diplomatie du ping-pong chère à Henry Kissinger, la participation d’un athlète israélien au triathlon de Neom en Arabie saoudite est une première entre le royaume du Golfe et la Start-Up nation !
La Jordanie participe aussi à ce climat d’apaisement. Fort d’un premier accord de paix avec Israël en 1979, elle voit depuis 2020 quelques initiatives de grande ampleur apparaître. C’est le cas de l’accord Vert-Bleu conçu entre les deux pays, soutenu par les EAU et les États-Unis. La Jordanie fournira de l’énergie solaire (verte) à Israël qui approvisionnera le royaume hachémite en eau dessalée (bleue). Cet accord pourrait s’avérer décisif face aux défis énergétiques et hydriques auxquels les deux pays font face : tandis que la Jordanie souffre d’un déficit d’eau chronique, l’État hébreu a besoin de plus d’électricité d’origine photovoltaïque.
La Turquie est également de la partie et c’est dans cet état d’esprit d’apaisement général des tensions, que le ministre des affaires étrangères turc s’est rendu en Israël puis en Cisjordanie en mai 2022. Melvut Çavusoglu s’est exprimé à ce sujet en admettant que la résolution du conflit israélo-palestinien ne pourrait qu’avoir lieu dans un contexte normalisé. La Turquie veut être parmi les premiers pays à poser les pierres d’un Levant pacifié. Ce voyage diplomatique de bon augure précède l’aparté d’Erdogan et Yair Lapid lors de la réunion annuelle des Nations Unies suivie de la discussion d’un nouvel accord sur l’aviation civile, après 15 ans d’interruption des lignes aériennes.
En conclusion : le retour du « Grand Moyen-Orient » ?
En 2001, suite aux attentats terroristes du 11 septembre, Georges Bush Junior et le G8 esquissèrent le projet d’une restructuration du Moyen Orient. Leur but : initier un changement culturel et politique afin de prévenir de prochains actes terroristes. L’avènement d’une “société de la connaissance” (Peter Drucker) devait engager la mise en œuvre d’un programme de démocratisation.
Aujourd'hui, face à une menace climatique globale qui fait s’effondrer nos certitudes, des ponts se bâtissent d’une rive à l’autre. Les pays des peuples d’Abraham se mobilisent tous ensemble et construisent l’unité d’aujourd'hui pour apprécier la paix de demain.
Pour en savoir plus :
https://www.economist.com/business/2021/01/25/emirati-and-israeli-bosses-cannot-wait-to-do-business
https://israelvalley.com/2022/10/06/les-echanges-commerciaux-entre-israel-et-les-emirats-diamants/
https://aujourdhui.ma/economie/gaia-energy-sallie-a-lisraelien-h2pro
https://www.wam.ae/fr/details/1395302977073