Vers un désert fertile ?
Après avoir prodigué des hydrocarbures et une manne pétrolière inestimable au cours des deux derniers siècles, les longues étendues de sable, qui couvrent plus de 2 330 000 kilomètres carrés, s’avèreraient fertiles. Convaincus de cette hypothèse, le royaume saoudien ainsi que les Émirats Arabes Unis redoublent d’efforts pour faire “fleurir le désert”. Ces deux États du Golfe, mais aussi le Liban et l’Égypte, lancent des programmes renouvelés de plantation et de micro-irrigation. Ce phénomène s’inscrit au cœur d’un mouvement de transition environnementale. En effet, l’euphorie régionale issue des années de rente pétrolière laisse désormais place au scepticisme. À partir de 2014, la chute des prix des hydrocarbures combinée à l’épuisement rapide des réserves de pétrole marquent la fin de l’État providence, confronté désormais à une dette publique croissante. Le défi politique et économique régional est complexifié par une augmentation de la demande alimentaire, due à un exode rural massif et à l’afflux de travailleurs étrangers.
Cependant, au début du XXIe siècle, la dépendance structurelle vis-à-vis de l’étranger pour le matériel et le personnel qualifié entrave la voie vers l’autosuffisance alimentaire. La révision des modèles agricoles hérités des années 1970 est essentielle pour moderniser les anciennes oasis ou conquérir de nouvelles terres agricoles. Mais comment augmenter les rendements alimentaires dans des pays où les précipitations moyennes ne dépassent pas quatre-vingts millimètres par an ? La perspective d’un désert reverdi est-elle réaliste ou ne serait-elle qu’un mirage ?
Réinventer les déserts : La micro-irrigation à l'avant-garde de la révolution verte
Pour lutter contre le déterminisme physique, la science prolonge les pratiques des agriculteurs afin de remédier à l’aridité des zones désertiques. De nombreux pays arabes s’appuient sur la micro-irrigation pour augmenter les rendements et encourager le développement de la verdure. Cette technique du “goutte-à-goutte” a l’avantage de réduire l’arrosage excessif des sols en acheminant l’eau directement vers les racines des plantes, là où elle est le plus nécessaire. C’est ainsi qu’Israël a transformé le visage du Néguev. Au fil de l’eau, cette région désertique, située au sud du pays, s’est métamorphosée en un oasis de denrées alimentaires. Le domaine de Nana, près de Beer-Sheba, produit annuellement entre 15 000 et 20 000 bouteilles de spiritueux grâce à la micro-irrigation. Fort de ce succès, l’État hébreu applique désormais le goutte-à-goutte sur 80% de ses terres.
De part et d’autre de la Méditerranée, des initiatives gouvernementales et associatives se déploient dans l’espoir de voir leurs terres se développer. Au Liban, le projet de développement des infrastructures agricoles financé par le FIDA a porté ses fruits. Il a permis la plantation d’arbres fruitiers dans les jachères des collines de la Bekaa et de Nabatieh, augmentant significativement les revenus des agriculteurs. En Égypte, le programme OFIDO (On Farm Irrigation Development Project In Oldlands), initié en 2009, vise le même objectif. À long terme, cette intervention devrait générer des emplois saisonniers pour plus de 21 000 hommes et femmes ruraux pauvres dans les gouvernorats de Kafr El-Sheikh et Beheira.
Quels coûts ?
Selon une série d'études menées par l'USAID dans la région d'Amhara, en Éthiopie, l'adoption combinée de l'irrigation goutte à goutte, de l'énergie solaire et des pratiques agricoles de conservation a permis de réduire la consommation d'eau de 30%, d'augmenter la productivité et les rendements de 15à 30%. La micro-irrigation à petite échelle représente donc un modèle efficace, fondé sur une infrastructure intelligente favorisant la résilience climatique et la durabilité financière. Cependant, le secteur fait face à un déficit mondial de financement estimé à environ 80 milliards de dollars américains par an pour le développement de ces infrastructures. Pour garantir leur viabilité à long terme, les coûts d'exploitation et de maintenance doivent être pris en charge par des coopératives agricoles organisées. Il est également crucial que les projets d'irrigation élaborent des stratégies de sortie bien définies, soutenues par une législation appropriée, afin d'assurer le financement continu nécessaire à l'exploitation et à la maintenance des infrastructures.
De l’Ambre au Mauve : la métamorphose surprenante des terres saoudiennes
Outre le génie scientifique, la nature serait-elle capable d’innovation? Au nord de l’Arabie saoudite, le désert a échangé sa teinte ambrée contre un mauve chatoyant. Ce petit miracle, visible près de la ville saoudienne de Rafha et surnommé “la lavande du désert”, a été favorisé par des pluies abondantes survenues fin 2022. Le royaume saoudien est en bonne voie pour devenir un terreau fertile. Les revenus pétroliers dégagés par cet État du Golfe ont permis de financer un programme agricole prometteur, fondé sur une agriculture de pointe accompagnée d’un système d’irrigation optimal. Entre 1961 et 2008, les surfaces agricoles équipées pour l’irrigation ont plus que quintuplé, passant de 323 000 hectares à 1 620 000 hectares. L’accroissement des terres cultivables a également favorisé l’établissement de grandes sociétés saoudiennes d’agribusiness. Parmi elles : Watania, qui exploite 30 000 hectares, Nadec avec ses 18 000 hectares, et enfin la plus opulente : la Al-Jouf Agricultural Development Company (Jadco), sous la gouvernance de la famille royale, qui gère 60 000 hectares. Positionnée sur plusieurs segments incluant à la fois la production agricole végétale et animale, Al-Jouf a connu une croissance exceptionnelle de 33% de son revenu net au cours des cinq dernières années. Là où fleurit la végétation, fleurit aussi le bénéfice.
Labourer les champs, voir éclore les premiers bourgeons estivaux sont des phénomènes qui démentent l'image fantasmée d'un Moyen-Orient aride et stérile. Cette vision erronée tranche avec une réalité bien moins manichéenne. Alors que le siècle précédent semblait encourager le pourtour méditerranéen à creuser sous terre pour évoluer dans la mondialisation, aujourd’hui, l'avenir régional se joue indéniablement en surface.
Sources :
https://journals.openedition.org/etudesrurales/17484
https://www.ifad.org/en/web/operations/-/project/1100001447
http://www.g-eau.fr/images/PRODUCTION/working-papers/WP9_Egypt_MOLLE.pdf