Redécouvrir Mohamed Zinet : Un artiste algérien au parcours unique
Le parcours d’un battant et militant
Mohamed Amokrane Zinet, plus connu sous le nom de Mohamed Zinet, a vu le jour à la Casbah d'Alger. Cette ville, qui a bercé son enfance, est restée au cœur de son inspiration artistique. Ayant participé à la guerre d'indépendance algérienne dans les rangs du FLN, il se tourne ensuite vers le théâtre, où il débute avec des pièces comme Le Cadavre encerclé de Kateb Yacine. Sa carrière théâtrale se poursuit en France et en Allemagne avec la troupe de Jean-Marie Serreau.
Son premier long métrage, Tahia ya didou! (Alger insolite), réalisé en 1971, est une œuvre emblématique. Commandé initialement comme un court métrage touristique par la mairie d'Alger, Zinet détourne ce projet pour en faire une célébration de la ville d'Alger, de ses habitants et de leur lutte pour l'indépendance. Ce film, sans récit ni dialogue traditionnel, se présente comme une sorte de "film symphonique". Bien que longtemps considéré comme perdu, il est finalement redécouvert en mauvais état dans les caves de la Cinémathèque d'Alger, et il est aujourd'hui vu comme un trésor cinématographique national.
La création de "Tahia ya didou!" a changé la vie et le destin de Zinet. Le film, bien que révolutionnaire, a coûté à Zinet sa carrière en Algérie. Son approche non conventionnelle et son franc-parler lui ont valu des critiques et des obstacles professionnels, le poussant à s'installer en France. Pourtant, le temps a fait de "Tahia ya didou!" une œuvre majeure de Zinet, témoignant de sa vision artistique audacieuse et de son engagement à représenter la véritable essence de son pays natal.
Une carrière marquée par des rôles puissants
Mohamed Zinet est également connu pour ses rôles dans divers films français des années 1970. Son interprétation dans Dupont Lajoie (1975) d'Yves Boisset est particulièrement mémorable. Zinet y joue le rôle de l'immigré venu venger son frère, ce qui en fait une figure emblématique du cinéma engagé contre le racisme. Le film, qui dénonçait le racisme ordinaire en France, fut un grand succès malgré les tensions et les menaces durant le tournage. Pour preuve, en 1974, alors qu'il tournait Dupont Lajoie, Zinet fut agressé par quatre hommes, ce qui entraîna son hospitalisation et son retrait du tournage. Cet événement tragique souligne les défis auxquels il a été confronté en raison de son origine et de ses choix artistiques dans une société très polarisée.
L'œuvre de Zinet est éclectique, Outre Tahia ya didou! et Dupont Lajoie, il a joué dans plusieurs autres films notables :
- Les Ajoncs (1970) de René Vautier
- Les Trois Cousins (1970) de René Vautier
- Le Bougnoul (1975) de Daniel Moosmann
- La Vie devant soi (1977) de Moshe Mizrahi
- Le Coup de sirocco (1978) de Alexandre Arcady
- Robert et Robert (1978) de Claude Lelouch
Dans Le Bougnoul, Zinet tient le rôle principal de Mehdi Ben Chraïdi, un film qui, malgré ses maladresses scénaristiques, demeure une critique acerbe du racisme en France. En 1978, il apparaît dans Les Sous-doués de Claude Zidi, interprétant Mustapha, un rôle qui démontre encore sa versatilité et son talent pour les pantomimes inspirées du cinéma muet.
Une réhabilitation en la mémoire d’un géant du cinéma
La Cinémathèque française a récemment mis en lumière l'œuvre de Zinet à travers une programmation spéciale. Cette rétrospective a permis de redécouvrir ses contributions et de comprendre la profondeur de son engagement artistique. Le documentaire Zinet, Alger, le bonheur (2023) de Mohamed Latrèche revient sur sa vie et son œuvre.
Les années passent et Mohamed Zinet reste une figure fascinante, inspirante et emblématique de l'histoire du cinéma algérien et français. Sa capacité à naviguer entre les rôles de comédien, de réalisateur et de militant, tout en affrontant les défis de son époque, en fait un modèle pour toute une génération.
C’est en visionnant ses films, notamment avec notre regard du présent, que l’on se rend compte de toute la richesse et la complexité des identités culturelles entre l'Algérie et la France.
Ainsi, Mohamed Zinet était un acteur et réalisateur dont les œuvres et les engagements militants ont laissé une empreinte durable sur le cinéma et la société. Il a su utiliser son talent pour lutter contre le racisme et les stéréotypes, notamment à travers des films comme Dupont Lajoie et Le Bougnoul. En collaboration avec des cinéastes militants comme René Vautier, il a défendu les droits des immigrés et mis en lumière leur précarité et leur résilience.
Inspiré par Charlie Chaplin, Zinet croyait en l’art comme moyen de lutte et de libération, utilisant la beauté visuelle et la pantomime pour exprimer des idées profondes. Son héritage est celui d’un artiste visionnaire et d’un militant passionné, dont l’engagement pour la justice sociale et la liberté d’expression continuent d’inspirer.
Sources :
https://www.cinematheque.fr/cycle/mohamed-zinet-1263.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Zinet
http://www.africine.org/index.php/personne/mohamed-zinet/7244