Pluie à tout prix : L’ensemencement pluvial au Moyen Orient

Pluie à tout prix : L’ensemencement pluvial au Moyen Orient

Faute de précipitations naturelles, les pays les plus exposés à l’aridité et au réchauffement climatique empruntent des voies artificielles pour abreuver leurs terres. Processus issu de la géo-ingénierie, l’ensemencement des nuages consiste à injecter un produit chimique dans les nuages par le biais d’aéronefs. Cette innovation offre ainsi à ses instigateurs la possibilité de relancer les dés du cours météorologique.

Reverdir les déserts grâce à la technologie, tel est l’objectif des nombreux programmes d’ensemencement des nuages qui se développent au Moyen-Orient.

Depuis la dernière décennie, plus de quatre-vingts projets d’ensemencement des nuages ont été recensés par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) à travers le monde, notamment en Asie, en Afrique et à présent au sein du croissant fertile.

Préserver ce statut de fertilité est effectivement une préoccupation majeure.

Alors que l’agriculture représente à elle seule 80 % de la consommation hydrique dans la région MENA d’après la Banque mondiale, l’eau vient à manquer.

En Arabie saoudite, les précipitations sur le long terme sont inférieures à cent millimètres, soit l’un des taux les plus faibles au monde.

Aux Émirats arabes unis, le thermomètre affiche régulièrement la chaleur ardente de 45 °C, justifiant la soif inassouvie des habitants. Un Émirien consomme en moyenne cinq cents litres d’eau par jour, soit le triple de la consommation mondiale.

Attendre un miracle ou le provoquer ? Accordant leur confiance à la géo-ingénierie pour contrôler le ciel, les États du Golfe deviennent peu à peu maîtres de la pluie et du beau temps.

Un miracle scientifique : émergence de la pluie artificielle et son arrivée dans la région MENA

Au commencement était la guerre. Les prémices de la pluie artificielle se manifestent dans le cadre militaire de la guerre du Vietnam, lors de l’opération Popeye en 1962. À l’origine de cette découverte, les États-Unis réinvestissent par la suite dans cette méthode pour des desseins agricoles : irriguer les terres de l’Ouest, en Californie et au Nevada.

À partir des années 1960, Israël s’aventure à son tour dans cette entreprise prométhéenne. Tout comme ses proches et lointains voisins de la région MENA GCC, l’État hébreu est sujet à la sécheresse.

Après des premiers essais au nord d’Israël, de nouvelles expérimentations sont menées dans le désert de l’Arabah, qui s’étend du golfe d’Aqaba jusqu'au sud de la frontière jordanienne.

Bien que circonscrites dans le temps, les missions d’ensemencement des nuages ont sensiblement contribué à transformer cette zone aride en un prodige climatique.

En dépit d’une chaleur torride, l'agriculture prospère dans l’Arabah. Selon Noa Zer, directrice du développement des ressources pour le Conseil régional central de l’Arabah, plus de 50% des produits frais du pays y seraient cultivés.

Loin d’avoir la tête dans les nuages, l’Arabie saoudite a elle aussi opté pour la pluie artificielle. Le potentiel saoudien en termes d’exportations agricoles n’est pas à négliger.

Bénéficiant de 173 000 hectares de terres arables - en contraste avec les 27 000 hectares français - le royaume saoudien pourrait, en effet, investir davantage dans le secteur primaire.

Après l'échec d'un plan d'autosuffisance alimentaire en raison du manque de ressources hydriques, le gouvernement a décidé de lancer un programme d’ensemencement pluvial. À l’heure actuelle, le processus a été initié aux abords de Riyadh ainsi qu’au-dessus du plateau rocheux de Nejd, que les avions nationaux survolent pour y libérer de l’iodure d’argent.

Ayman Ben Ghulam, président du Centre national de météorologie, a tenu à préciser que le programme devrait se poursuivre au cours des cinq prochaines années et permettre d'augmenter le taux de précipitation jusqu'à 20%.

Dépeinte comme une option viable et respectueuse de l’environnement, la pluie artificielle semble bien s’aligner avec les préceptes de la vision 2030 du prince MBS, en ce qu’elle contribue à l’intensification de la couverture végétale de l’Arabie saoudite ainsi qu’à la sécurisation de nouvelles sources d’eau.

Qui sème la pluie, récolte l’intempérie : l’ensemencement pluvial comporterait-il des risques ?

La transition climatique n’aurait-elle pas raison de l’hubris scientifique ? Le 17 avril dernier, l’aéroport de Dubaï était envahi par les eaux. En l’espace de vingt-quatre heures, le pays désertique s’est retrouvé englouti sous plus de cent vingt millimètres d’eau, l’équivalent de deux ans de pluie. Également frappés par ce déluge, le Qatar, Bahreïn et la principauté d’Oman déplorent un total de vingt morts.

Si les regards inquisiteurs se tournent vers les ingénieurs à l’initiative des programmes d’ensemencement, il n’en serait rien.

Une étude du centre Anelfa (Association Nationale d'Étude et de Lutte contre les Fléaux Atmosphériques) tend à prouver que l’iodure d’argent, agent fondamental de l’ensemencement pluvial, ne serait pas nocif pour l’environnement, compte tenu des faibles proportions utilisées.

En outre, l’ensemencement repose sur un principe de ciblage précoce et contrôlé, excluant ainsi les cumulonimbus, nuages les plus susceptibles de déclencher des intempéries. Le cataclysme observé dans le Golfe résulterait donc plus vraisemblablement de l’inversion chronique des vents du Pacifique, due au phénomène El Niño.

Ayant déjà sévi en Afrique du Sud, dans le Sahel et en Amazonie au cours de l’année 2023, El Niño continue de s’étendre, redistribuant les précipitations sur de nouvelles surfaces à son gré.  

Quand la technologie se joint à la spiritualité : pluie et traditions religieuses

Au-delà des considérations économiques et des préoccupations climatiques, la pluie artificielle revêt également une dimension spirituelle, répondant précisément à une prière semestrielle.

Dans le Judaïsme, la fête de Chemini Atseret, célébrée au cœur de l’automne, marque le début de la saison des pluies. Également formulée comme une bénédiction quotidienne tout au long de l’hiver, Chemini Atseret vise à exprimer la reconnaissance envers le ciel pour l’eau prodiguée, tout en priant pour que le vent continue de souffler et que la pluie continue de perler sur les moissons.

La sollicitation de la pluie se retrouve dans le Christianisme. Sabine, martyre chrétienne du IIème siècle, correspond à une sainte à qui s’adresser pour invoquer la pluie en cas de sécheresse.

Précieuse ressource en tout point de vue, la pluie est préservée et volontairement déclenchée si nécessaire. Et s’il paraît incongru voire cocasse, qu’en 2018, l’Iran accuse les Émirats et Israël, de “lui voler ses nuages”, faisant justement allusion aux opérations d’ensemencement artificiel, la raréfaction des ressources hydriques et l’esprit créatif des ingénieurs du XXIème siècle, révèlent une nouvelle ère où les frontières entre la nature et la technologie s’estompent.

Sources :

https://www.liberation.fr/environnement/apres-les-inondations-a-dubai-les-pluies-artificielles-accusees-a-tort-20240418_ADPQIVFSUJE6DEMFU6IAZIP4LE/#:
~:text=Cette%20technologie%20consiste%20à%20injecter,ou%20des%20générateurs%20au%20sol
.

https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/face-aux-fortes-chaleurs-dubai-fait-tomber-de-la-fausse-pluie_4695459.html

https://www.europe1.fr/sciences/secheresse-la-pluie-artificielle-est-elle-une-solution-realiste-et-viable-4189339

https://embassies.gov.il/Bruxelles/AboutIsrael/LePays/Pages/LE%20PAYS-%20Geographie%20et%20Climat.aspx

https://www.lemonde.fr/planete/article/2010/11/04/en-israel-les-mirages-des-faiseurs-de-pluie-s-evaporent_1435388_3244.html

https://reporterre.net/Quand-les-Etats-veulent-controler-la-pluie

https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20240417-deux-ans-de-pluie-en-24-heures-dubaï-paralysé-par-des-précipitations-record

https://www.linfodurable.fr/climat/tout-comprendre-au-phenomene-meteorologique-el-nino-44172#:~:text=Tous%20les%20deux%20à%20sept,plus%20froide%20à%20l'Ouest.

https://fr.timesofisrael.com/des-pluies-continues-ces-deux-dernieres-semaines-du-jamais-vu-en-israel-en-30-ans/

https://agriculture.gouv.fr/arabie-saoudite

https://www.arabiaweather.com/fr/content/l39arabie-saoudite-prend-des-mesures-rgulires-dans-le-programme-d39ensemencement-artificie

https://photo.geo.fr/israel-agriculture-dans-le-desert-de-l-arava-40779#agriculture-sous-serre-dans-le-moshav-ein-yahav-en-israel-64d0a

https://infos-israel.news/israel-cultive-plus-de-50-de-ses-legumes-dans-le-desert-darava/

Crédits image : https://oumma.com/emirats-arabes-unis-une-pluie-artificielle-experimentee-video/