L’invention de l’alphabet : aux origines du dialogue entre l’Orient et l’Occident
Aleph, alpha, aliph
Naissance et migrations de l’écriture
Si les archéologues et les historiens font remonter la naissance de l’écriture au IVe millénaire et la situent en Mésopotamie (en Irak), c’est au IIe millénaire qu’apparaît le code permettant de distinguer graphiquement entre elles les différentes langues antiques.
Les nombreux vestiges archéologiques et épigraphiques, retrouvés du Croissant fertile aux rives orientales de la Méditerranée, attestent de migrations particulièrement dynamiques.
Véritable révolution dans l’histoire de l’humanité, l’alphabet est à l’image des peuples de l’Antiquité : migrateur car commerçant.
En effet, le cunéiforme des Sumériens permet de graver dans l’argile ou la pierre des comptes, des transactions, des inventaires de biens ou des actes de propriété. Son évolution progressive vers un système conceptuel, où la lettre correspond à un mot, émerge dans la région de l’actuel Liban : la Phénicie, mais aussi en Palestine et sur les côtes syriennes.
Civilisation de marchands et de marins, les Phéniciens règnent alors en maîtres sur la Méditerranée et la mer Egée, où ils ont installé des comptoirs. Des inscriptions sur des fragments de céramiques ou des stèles funéraires attestent de leur présence jusque dans le Sinaï, avec des emprunts aux hiéroglyphes égyptiens.
C’est également à leur contact que les Grecs s’approprient l’usage de l’alphabet et en tirent le leur propre. Composé de vingt-deux lettres, l’alphabet phénicien, paléo sémitique, est ainsi la matrice de tous les autres, anciens et modernes.
Par l'araméen, il a directement engendré l’écriture hébraïque au VIe siècle av. J.-C (dont les lettres carrées attestent d’influences babyloniennes et servent à l’écriture de la Torah) puis arabe au VIe siècle ap. J.-C, en parallèle de l’écriture du Coran.
« Alpha-beth » : du dialogue des lettres au dialogue des cultures
Circulation des populations et par l’écrit, des langues, des cultes et des savoirs : telle est la manière dont les civilisations s’ouvrent à d’autres visions du monde.
Ainsi l’égyptien, le phénicien puis l’hébreu font-ils correspondre la prononciation et la graphie de certains signes aux objets désignés.
C’est le cas par exemple du a (« aleph »), qui schématise et désigne une tête puis les cornes du bœuf, du b (« beth ») qui signifie « maison » ou encore de la consonne « ain », commune à l’hébreu et à l’arabe, qui signifie « œil ». Leur est aussi associée une valeur numérique (les chiffres ne seront inventés par les Arabes qu’au IXe siècle) et par extension, mystique ou philosophique. En rencontrant ainsi la pensée, la lettre entre en relation avec des idées nouvelles.
Cet itinéraire se retrouve dans le mot « alphabet » lui-même, composé de la première et de la deuxième lettre phénicienne et hébraïque (« aleph » et « beth »). A peine transformées par le grec ancien en « alpha » et « betha », on les retrouve plus tard, en arabe, avec « aliph » et « bha ». L’alphabet latin moderne, qui provient du grec, les adopte également de son côté. En d’autres termes, l’alphabet comporte dans sa dénomination et sa transcription la possibilité de réappropriations et d’innovations, aussi bien linguistiques que culturelles.
Dans ce sillage, la pensée juive s’hellénise à Alexandrie (certains livres bibliques seront même rédigés en grec, devenue la langue universelle en Méditerranée) et à l’époque médiévale, l’Europe occidentale accède à la philosophie antique grâce, notamment, aux traductions des sages islamiques. Dans les deux cas, des transferts et des médiations s’opèrent : de l’hébreu au grec et du grec au latin par l’arabe.
Traversant les époques, parcourant les lieux, l’alphabet et ses différentes déclinaisons écrivent donc, depuis les temps les plus anciens, un récit inspirant et fécond : celui des relations entre l’Orient et l’Occident. Et nous invite, encore plus aujourd’hui, à cultiver l’art de la conversation et de l’échange.
Pour en savoir plus :
ATTALI Jacques, SALFATI Pierre-Henry, Athènes, Jérusalem, Le Destin de l’Occident, Fayard, 2016
Sources :
La révolution de l'alphabet | lhistoire.fr
L'hébreu : une langue sémitique et son histoire
Les langues sémitiques | unige.ch
QUE_SAVONS_NOUS_DES_LANGUES_SEMITIQUES.pdf