Les Détours de Babel
Pour tout voyageur au Levant, la vision des véritables prouesses architecturales qui surgissent dans toutes les capitales de Ryad à Tel Aviv en passant par Dubaï s’imposent à l'oeil. Energivores, couteuses, à forte densité... ces cités futuristes sont-elles un défi à un avenir vert et décarboné ? Les nouvelles “Tours de Babylone” disent-elles l’histoire d’une modernité aux ambitions toujours décadentes? Ou a contrario, ces édifices sont-ils dorénavant au service d’une économie responsable et d’une prospérité équitable ?
Un pas vers la modernisation et le dialogue mosaïque
“Ce fut, sur toute la terre, une seule langue et des paroles identiques (...) ils dirent “Allons, construisons nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel. Et nous nous ferons un nom, de peur que nous soyons dispersés sur la surface de la terre” (187 Genèse, 11, 1-9). Le récit biblique expose déjà implicitement ce que l’innovation représente pour les hommes : l’ajournement de leur déclin. La volonté de modernisation se manifeste d’ailleurs très tôt dans les organisations sociales en Orient. Par exemple, dès 1300 les routes du commerce se développent, et les échanges transitent de l’Afghanistan à l’Afrique du Nord. Un véritable pont culturel nait ainsi entre l’Asie et l’Afrique grâce aux marchands et à leurs investissements dans les moyens de transports. À cet égard, il semble que le progrès soit bien le fruit du dialogue et des échanges entre les peuples et pas seulement de la folie des grandeurs des monarques.
Aujourd’hui, nombreux s’indignent devant l’ampleur presque indécente des chantiers de Néom, en Arabie Saoudite, cette ville nouvelle qui accueillera 9 millions de touristes d’ici 2050. Pourtant, ce projet s’inscrit dès l’origine dans une même vision d’ouverture au reste du monde. Rappelons que l’émergence de villes nouvelles et modernisées sont une dimension du “soft power” qui aide à rapprocher les cultures, comme notamment entre laFrance et les Émirats Arabes Unis à travers le “Louvres Abu Dhabi”. En Égypte, la Tour du Caire, est le produit d’une coopération américano-égyptienne. En plus d’un dialogue engagé avec l’Occident, les travaux initiés en Égypte, font aussi oeuvre de tolérance religieuse. Comme avec la reconstruction de l’ancestrale Cathédrale de la Nativité, dans la future capitale administrative “Sissi City”, qui traduit le soutien du gouvernement envers les chrétiens d’Égypte.
Des “éco-tours” de Babel ?
Si, l’effondrement de la tour biblique symbolise l’échec d’une absurde rivalité avec leCréateur, il semblerait aujourd’hui, à l’aune de la transition climatique, que les nouvelles tours de babel s’harmonisent avec l’environnement. Cela est frappant si l’on prend l’exemple de la centrale d’Ashalim en Israël : haute de 250 mètres, forte de 50 000 panneaux solaires, elle est la plus grande tour solaire du monde et approvisionne 2% des besoins en électricité du pays. La tête dans les nuages et des étoiles plein les yeux, voilà la nouvelle méthode des ingénieurs du XXI siècle pour triompher des défis de notre époque.
Dans l’architecture moderne, la technologie est mise au service d’une politique environnementale vertueuse. Aux Émirats, l’éco-cité de Masdar (“source” en arabe) veut atteindre la sobriété carbone d’ici 2030. Dotées d’un style architectural respectueux des traditions, de nouvelles infrastructures sont déployées, tel le nouveau système de transports collectif et léger, le “Personal Rapid Transit” (PRT). En Arabie Saoudite, le projet“the line” est lui aussi pensé pour être une ville durable. Fonctionnant intégralement à base d’énergie renouvelable, cette skyline s’étendra sur 170 kilomètres et favorisera l’essor des services de proximité tout en reposant sur un TGV souterrain. Utopique ? Peut-être, mais pas impossible. De plus en plus de plus d’études militent pour une véritable transition énergétique urbaine à l’échelle mondiale. l’Irena, qui sise à Abu Dhabi, accompagne ses 160 pays membres pour évaluer leur situation énergétique et établir des plans d’action efficaces au long terme. On leur doit entre autre “l’Alliance mondiale pour l’éolien en mer”, un projet qui pourrait se révéler décisif.
“Et nous nous ferons un nom”
En 1927, Métropolis apparaissait sur grand écran. Ce film prophétique annonçait la folie des grandeurs de notre siècle. De génération en génération, à mesure que la technologie se perfectionne, les villes du passé disparaissent pour laisser place à de nouveaux prototypes. Hier le Colosse de Rhodes, aujourd’hui Burj Al Arab, ou la Tour d’Afrique... On ne peut nier la corrélation entre frénésie constructrice et volonté des Puissances de s’affirmer sur la scène internationale. “Et nous nous ferons un nom” auraient dit les bâtisseurs de la Tour de Babel. Ici, cet adage biblique prend peut être un sens différent.Les projets urbanistiques ne sont plus à la gloire d’un nom mais surtout l’expression d’un besoin de développement collectif et durable, entre peuples qui, hier, se parlaient peu. De la même façon qu’Abraham arrive dans l’histoire juste après la tour de Babel pour enseigner l’éthique, peut-être voyons-nous sortir de terre des édifices annonciateurs d’une ère de tolérance et de prospérité partagée
Pour en savoir plus :
https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/masdar-city
https://www.connaissancedesenergies.org/questions-et-reponses-energies/quel-est-le-role-de-lirena
https://hal-enpc.archives-ouvertes.fr/hal-01724329/document
https://www.youtube.com/watch?v=q01aYeZYqmM&t=132s
https://www.irena.org/Energy-Transition/Planning/Africa-Continental-Power-System-Masterplan
https://selectra.info/energie/actualites/revue-de-presse/10-11-2022
Géopolitique des Émirats Arabes Unis, Charles Saint Prot Des Hommes et des Risques, Marc Nabeth
Au Commencement Était La Mondialisation, Nayan Chanda