Le café, symbole des évolutions sociétales du Moyen-Orient
Le café, une « turquerie » pas comme les autres
Parmi les denrées exotiques qui ont fasciné et séduit l’Europe, le café (qahwa) occupe une place à part tant la culture du Moyen-Orient lui est liée. Sa consommation dans la Péninsule arabique est attestée dès le VIe siècle et sa diffusion dans le monde musulman, rendue facile par le développement du pèlerinage à la Mecque (le hadj), qui brasse des populations, des idées et des produits. Son commerce accompagne par la suite l’expansion progressive de l’Empire ottoman. Sa consommation par toutes les couches sociales en fait « la » boisson par excellence, dont la préparation par décoction (à la « turque ») reste encore de nos jours inchangée. Si on lui ajoute des épices au Maroc, de la fleur d’oranger en Algérie et en Tunisie, de la cardamone au Levant ou en Arabie saoudite, le café garde, malgré ses variantes, une aura particulière : celle du plaisir et de la convivialité, quitte à être considéré, par les autorités d’alors, avec beaucoup de suspicion. En effet, l’alcool étant interdit par l’islam, la consommation du café s’en est trouvée favorisée. Mais les oulémas et les médecins se disputent quant à sa nature : excitante ou médicinale, ce qui donne lieu à des controverses souvent tranchées au niveau politique.
Café de rue à Istanbul vers 1900 © Shutterstock / istanbulphotos
Du lien au lieu social
En 1554 sous le règne de Soliman le Magnifique, le premier lieu public dédié à sa consommation ouvre à Constantinople grâce à deux marchands de Damas. Le concept fait fureur : l’élite intellectuelle et économique de la ville s’y presse, du poète au haut fonctionnaire. On y parle d’art et de politique, on y écrit, on y joue et ce, à la vue de tous. Déplacé dans la rue, il offre aux populations plus modestes l’occasion d’inaugurer puis de clore par une tasse fumante une dure journée de labeur. Ses effluves suscitent l’inspiration, son arôme délie les langues. Prétexte à la conversation, il est un rituel social pratiqué au-delà de la sphère publique puisque son cérémonial se décline également au niveau privé. D’ailleurs, dans l’ancienne Anatolie, il est même ce par quoi la future mariée jauge son prétendant à l’occasion de leur rencontre : un café sucré si le promis trouve grâce à ses yeux, dans le cas contraire, un café salé. A la fin d’une querelle, il est le moyen de résoudre le conflit.
Café Fattoush à Haïfa (Israël)
Le café, symbole des évolutions sociétales du Moyen-Orient
Si les établissements traditionnels n’ont, de nos jours, pas disparu, certains d’entre eux cherchent à expérimenter de nouvelles formes de sociabilité : mixte, jeune, familiale et ouverte sur le monde grâce à l’accès à internet. A Tunis par exemple, l’inclusivité est le maître-mot du café Liber’thé qui est aujourd’hui l’un des piliers de la scène culturelle
alternative de la capitale. Idem pour le Café Fattoush à Haïfa, qui se veut symbole de coexistence et de fraternité en faisant dialoguer les cultures arabe et juive, métonymie de la plus grande ville mixte d’Israël. En parallèle, les coffee shops à l’occidentale se sont fortement développés au Moyen-Orient et participent pleinement de l’économie locale, avec un impact significatif sur les importations. Les Emirats arabes unis sont les premiers à s’être ouverts, dès les années 2000, aux chaînes étrangères comme Starbucks et à assouplir la règle de non-fréquentation des sexes dans ces espaces. Entre tradition et modernité, préservation et ouverture, le café est sans conteste l’un des symboles les plus signifiants pour comprendre le Moyen-Orient et ses évolutions. C’est sans doute l’une des raisons qui a poussé l’UNESCO à inscrire le café turc en 2013 et arabe en 2015 sur sa liste du patrimoine immatériel de l’humanité.
Sources :
Le café turc, une boisson et des traditions | Le Courrier de l'UNESCO
Le café (lesclesdumoyenorient.com)
Liber’Thé, incubateur de citoyenneté à Tunis | Le Courrier de l'UNESCO