L’art de la révolte
À Téhéran, la créativité est devenue l’outil ultime de la résistance aux Mollahs
Les rues meurtries de Téhéran sont désormais investies de nouvelles couleurs. Sur leur passage, les manifestants ont métamorphosé la capitale, couvrant ses murs de graffitis, esquissant des portraits féminins ou y inscrivant le slogan “Femme, Vie, Liberté”. Des hymnes d’espoir et morceaux subversifs ont succédé aux cris de désespoir des protestataires, parmi lesquels plusieurs centaines ont été abattus lors des soulèvements. À l’heure actuelle, bien que les émeutes aient perdu en intensité, la contestation continue sous une forme inédite. Dans les métropoles et villes moyennes d’Iran, la résistance s’exprime à travers des guitares insurgées ou des crayons rebelles, venant illuminer les ombres persanes de cette lutte pour la dignité.
Arts Graphiques : les pinceaux contre les matraques
Berceau de l’art des miniatures persanes, il n’est pas étonnant de remarquer qu’en Iran, la bataille se livre à coup de pinceaux. Dès le début du XXème siècle, les premières caricatures iraniennes voient le jour. Elles viennent d’abord illustrer des périodiques régionaux tels que l’hebdomadaire azerbaïdjanais Mulla Nasruddîn, avant de se diffuser au sein de revues satiriques locales, notamment Gol Agha ou Tavana (fermé en 2001). Même au coeur de la révolution, les caricaturistes ne lèvent pas le crayon. En 1990, le dessinateur iranien Nick Ahang Kowsar n’hésite pas à représenter l’ayatollah Mohammad Taghi Mesbah-Yazdi sous les traits d’un crocodile aux crocs acérés.
En 2024, les arts graphiques ne sont plus uniquement l’emblème de la résistance par l’humour. Ils font désormais office de mémoire collective pour toutes les victimes de la répression des Mollahs. De l’autre côté de l’Atlantique, des peintures murales rendant hommage aux femmes iraniennes habillent désormais les façades des buildings américains. Au 7753 Melrose Avenue, l’artiste irano-américaine Cloe Hakakian a réalisé une fresque à l’effigie de Mahsa Amini. Regard fier et serein, le visage de cette kurde iranienne de 22 ans est baigné de lumière, tandis que les couleurs du drapeau iranien flottent dans ses cheveux.
À l’heure où le monde virtuel semble peu à peu supplanter le monde réel, les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans la visibilité du mouvement Femme, Vie, Liberté. La page Instagram @Iranianwomengraphicdesign regorge d’illustrations engagées, dont de nombreuses esquisses de femmes émancipées ou de Mahsa Amini et d’Armita Garavand, hier tombées sous les coups de la police des moeurs, aujourd’hui icônes de la révolte. @Iranianwomengraphicdesign compte déjà plus de trente-huit mille abonnés et mérite encore davantage !
Cinéma : rempart contre l'oppression
Autre instrument de protestation, la représentation scénique vient prolonger la représentation graphique : un homme vêtu de noir est assis sur les marches d’un escalier. À ses côtés, se tient une femme aux cheveux dévoilés, les yeux rivés sur la caméra. Ils sont bientôt rejoints par d’autres acteurs à l’apparence fantomatique. Tous demeurent immobiles et interdits sur le devant de la scène. Publiée sur instagram, la dernière performance du dramaturge Hamid Pourazari et de l’actrice Sohleila Golestani frappe par son engagement politique. Pourazari écrit en légende de son post : “le spectacle prend fin. La réalité se dévoile. Nos vrais héros sont des gens anonymes. Nous n’effaçons pas nos erreurs. Nous essayons de nouveau et nous apprenons. Les voies sont multiples et l’espoir pour un nouveau jour est immense. ‘Femme, vie, liberté’.”
Depuis 1979, le cinéma est un art contraint. En 2010, le cinéaste emblématique Jafar Panahi est condamné et assigné à résidence au motif de “propagande contre le régime”. Malgré ce carcan, les cinéastes iraniens parviennent à détourner les limites pour exprimer leurs revendications. Bahman Ghobadi est la figure de proue de cette position. Dans son film, “Les Chats Persans” le réalisateur dépeint une jeunesse underground iranienne et son appétence pour le rock, musique proscrite dans le pays.
Musique : quand les notes défient l’interdit
Tout genre musical non folklorique, importé d’occident est considéré comme subversif. Aucune femme n’est d’ailleurs autorisée à chanter en langue anglaise. Mais le pays est-il véritablement hermétique à la culture Pop-Rock ? Dans le pays où les rythmes déjantés des artistes Googoosh ou Dariush sont inscrits dans le patrimoine, la rébellion se fait en musique. En 2021, Barayé, la chanson de Shervin Hajipour. Cet hymne à la contestation est reprise par Coldplay, Marjane Satrapi ou encore Benjamin Biolay. Remixé par le DJ iranien Sonami, Barayé, est décrite comme une manière de protester et d’exiger la liberté et le bonheur.
Fin décembre 2023, c’est au tour d’un marchand de poisson de 70 ans d’entrer dans la danse. Sa chorégraphie endiablée sur un petit marché de Racht, au nord de l’Iran est devenue virale. Alors qu’il est interdit de danser en public, la vidéo montre le vieil homme tapant dans ses mains et encourageant les passants à le rejoindre. Avec plus de 500 000 j’aime sur son compte Instagram, “l’Oncle Sadegh” ainsi surnommé, ne s’attendait pas à récolter autant de succès. Ces actes de création, bien que perçus comme des actes de transgression, sont des actes de courage, de volonté et de détermination. Dans ses Versets Sataniques, Salman Rushdie relève en effet qu’en créant, l’artiste prend des risques, témoignant ainsi de son héroïsme.
Sources :
Marjane Satrapi (2023), Femme vie liberté, Iconoclaste
https://books.openedition.org/pur/102864?lang=fr
Sources images :
https://www.instagram.com/iranianwomenofgraphicdesign/