Entre singularité et résilience, le design réinvestit Beyrouth
Beyrouth, berceau d’un design singulier
Parmi les métropoles de la région, Beyrouth est sans conteste l’une des plus reconnues pour son effervescence créative, due à son brassage de cultures et à son ouverture sur le monde. Si la tradition du design remonte à la présence française jusqu’au milieu du XXe siècle et à l’occidentalisation qui s’est suivie, les différentes crises sont autant de jalons dans l’émergence de ce dernier comme discipline à part entière.
Lorsqu’il a fallu reconstruire la capitale à l’issue de la guerre civile, le développement urbain a été favorable aux investisseurs et aux créateurs. Malgré l’absence d’une planification établie, la gentrification et la rénovation de certains quartiers ont fini par établir la filière au cœur de Beyrouth, notamment à proximité du port dans les quartiers de Gemmayzeh et Mar Mikhaël, favorisant l’émergence d’une microéconomie qui n’existerait toutefois pas sans la diaspora. Boutiques-studios, agences, centres d’exposition à l’exemple du Beyrouth Art Center (BAC) ou de la Galerie Carwan, en passant par les foires locales d’art contemporain
(Beyrouth Art Design Fair) ... c’est tout un écosystème qui peut vivre grâce à des fonds privés, très souvent en provenance de l’étranger, au mécénat et aux partenariats avec des institutions et des musées occidentaux. En ouvrant ses portes en mai dernier, l’Ecole supérieure d’architecture du Liban, rattachée à la plus ancienne université du pays, compte bien former les créateurs de demain.
Deux décennies de rayonnement à l’international
Depuis le début des années 2000, le design libanais s’est exporté pour contourner les contraintes du marché local et a su imposer son identité mosaïque si reconnaissable, d’abord dans les villes du Golfe (Dubaï en tête), ensuite dans le monde entier. Fort d’une génération de créateurs passés par Londres, Paris ou New-York et revenus pour la plupart au pays, il s’expose dans les foires de référence : Art Basel Miami, Paris ou Milan Design Week et bien d’autres.
Pionnière du design contemporain au Liban, Nada Debs incarne à sa façon ce métissage, tant au niveau créatif que personnel. Née au Japon, formée en architecture aux Etats-Unis avant de s’installer un temps au Royaume-Uni, on lui doit la fusion du minimalisme asiatique et de la géométrie arabe, de l’industriel et de l’artisanal, du béton et de l’olivier massif. S’il s’agit de redonner « une forme de fierté aux habitants de pays arabes, via les meubles et lesustensiles qu’ils utilisent tous les jours », notamment grâce à sa collaboration spéciale Ramadan avec Ikea en 2021 ou à sa collection de tapis de prière tissés par des femmes afghanes, il est aussi question pour elle de continuer à faire vivre tout un patrimoine décoratif, prisé par les plus grandes maisons, à l’instar de Chanel ou Bulgari.
Cette fierté d’un design « Made in Lebanon », elle l’a transmise à la deuxième génération qui assure la relève de cette identité si particulière. Carlo et Mary-Lynn Massoud, le duo david/nicola formé par David Raffoul et Nicolas Moussalem, Marc Dibeh, Nathalie Kayat, Karen Chekerdjian...autant de noms dont la réputation dépasse désormais les frontières du Pays du Cèdre.
Face aux crises, la solidarité et la résilience
Plus que tout autre, ce secteur a à cœur d’incarner la résilience, en portant haut et fort un message de solidarité. Crise politique, pandémie, explosion du port, faillite économique et financière : depuis quatre ans, le pays est au bord du gouffre. Plutôt que d’opter pour le désespoir, alors que bon nombre d’ateliers et de studios ont été soufflés par l’explosion du 4 aout 2020, la filière se reconstruit, continuant de mettre en valeur les forces locales et de faire émerger de nouveaux talents, portés par cette vision de régénérescence autant matérielle que sociale et spirituelle. Une esthétique de la stigmate a même fait son apparition : en préservant les objets écorchés et les fissures sur les murs, elle cherche à transcender le traumatisme.
Artiste en pleine ascension, Rumi Dalle l’explique : le contexte actuel l’a forcée à se mettre en lien avec les artisans de son quartier, les plus touchés par les confinements, et surtout les femmes. Ses œuvres textiles, en convoquant des techniques parfois pluri-centenaires, racontent également son histoire : celle d’une petite fille née au lendemain de la guerre civile, dont les expérimentations à partir de presque rien l’ont menée à interroger le rapport qui unit créativité et durabilité.
Fondatrice de l’ONG House of Today qui accompagne et soutient depuis dix ans les artisans et architectes libanais, Cherine Magrabi Tayeb reconnaît de son côté que les crises successives n’ont pas porté atteinte au dynamisme et à l’inspiration des créateurs mais favorisé leur montée en puissance.
Le design libanais, un phénix qui renaît de ses cendres ? Toujours est-il que puisant sa force dans la lumière de la Méditerranée, le bouillonnement beyrouthin et le calme majestueux du Mont Liban, celui-ci n’a pas fini de dévoiler toutes les facettes de sa foisonnante identité.
Sources :
Ces designers qui font rebattre le cœur du Liban | AD Magazine
Beyrouth. Les temps du design au mudac - NOW Village
Le retour du design au Beirut Art Center - L'Orient-Le Jour (lorientlejour.com)