"Qui veut gagner la guerre, se prépare à la paix"
Point névralgique du globe, c’est ici que le commerce fleurit et se renforce à travers les siècles. Dans ses “Crises d’Orient”, Henry Laurens rappelle avec justesse que le Moyen Orient fonctionne comme un réseau par lequel transite les échanges. Réseau maritime d’une part : au XIXème siècle, les Émirats Arabes Unis construisent leur économie autour de l’exportation de perles en Inde. la Turquie et autres États riverains de la mer Noire participent eux aussi au développement du trafic maritime de la mer Noire. La Convention de Montreux qui garantit la liberté de passage des navires marchands dans les détroits de la mer Noire est d’ailleurs l’une des rares conventions multilatérales à avoir survécu au temps. Réseau gazier d’autre part, c’est au Moyen Orient que naissent 5 des 13 pays membres de l’OPEP.
De fait, la région est le coeur d’une ressource inestimable : le pétrole. Avec plus de 55% des réserves mondiales, la région est propulsée au rang de leader dans cette industrie. Avec plus de 10 millions de tonnes de pétrole dans les années 1900, l’Iran se classe en tête et sera suivi du Koweit à l’entre-deux-guerres. Mais cet avantage comparatif n’est pas sans revers.
Le pétrole : atout ou fardeau ?
Revers d’une part, géographique : la répartition aléatoire des sources gazières et pétrolifères dans le pourtour méditerranéen accroit l’hétérogénéité économique et sociale de la région. Les pays riches bénéficiant de cette rente : Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Iran, Koweit - côtoient les pays les plus pauvres : Yémen et Palestine. Ce développement à deux vitesses creuse davantage le fossé entre des peuples pourtant voisins. D’autre part, le revers est d’ordre politique : depuis le XIX ème siècle, la découverte de l’or noir a transformé le Levant en un échiquier géopolitique sur lequel s’affrontent les acteurs de l’économie mondiale. Le pacte d’Achnacarry de 1928 - qui scelle le partage des réserves régionales entre les cinq plus grandes compagnies étrangères, les chocs pétroliers survenus au lendemain de la guerre du Kippour en 1973 puis de la révolution islamique en 1979 en sont l’illustration.
Pourtant aujourd’hui, à l’inverse de l’adage de Thucydide : “qui veut la paix se prépare à la guerre”, le contexte global tend à prouver que : “qui veut gagner la guerre, se prépare à la paix”. Un siècle après les crises d’Orient, une lueur d’espoir fait surface. Si le traité de paix israélo-égyptien de 1979, suivi du traité de paix israélo-jordanien en 1994 avaient entr’ouvert la voie, le 15 septembre 2020, les accords d’Abraham résonnent comme une promesse de renouveau pour le dialogue inter-culturel. L’embrassade des nations s’élargit : Émirats Arabes Unis, Bahrein, Soudan, Maroc, Israël…
Le remède contre les changements globaux : la coopération
Pourquoi ici, pourquoi maintenant ? D’un point de vue purement pragmatique, les accords d’Abraham s’accompagnent des armes pour lutter contre l’adversité. Deux menaces imminentes sont à identifier. La première est d’ordre idéologique. Composé à 90% de pays sunnites, le Moyen Orient est néanmoins sujet à l’avènement d’un arc Chiite avilissant. L’Iran qui exerce son hégémonie sur le détroit d’Ormuz agite le spectre de l’enclavement maritime à l’encontre du royaume émirati. Et au vu de l’enrichissement nucléaire et de l’agressivité politique de Téhéran, l’État du Golfe a bien raison de requérir la protection américaine, via un accord militaire qui prévoit la livraison d’avions de chasse furtifs F35.
La seconde menace n’a ni patrie ni visage, elle est d’ordre naturel : la transition climatique. Déjà dans les années 2000, les innombrables sécheresses, empêchant aux agriculteurs de cultiver localement en Méditerranée, forment la toile de fond du Printemps Arabe. Or, dans son dernier rapport, le GIEC affirme qu’à plus de 3% réchauffement climatique, l’insécurité alimentaire sera généralisée. La marge de manoeuvre des sociétés sur leur environnement se réduisant à peau de chagrin, les grands exportateurs de blé, soit : l’Algérie, l’Iran et l’Égypte, sont en première ligne. Et surtout, les pays qui ont construit leur prospérité autour de l’exploitation pétrolière risquent de basculer. Certes, il est vrai que le
Moyen-Orient avait vu sa part décliner dans le domaine du pétrole depuis le début des années 2000 en raison de la diversification des partenaires dans le secteur (Mexique, Nigéria…). Mais, de manière beaucoup plus radicale, l’or noir est à son apogée. Son pic de production, prévu pour 2035, traduit le début de son déclin. Pour chacune des parties, la normalisation des relations diplomatiques reflète donc l’enjeu de trouver des alternatives de richesse. D’après Montesquieu, le commerce pacifie les relations. Le philosophe français n’aurait pas cru si bien dire : en 2022, Abu Dhabi prévoit une hausse de 8% de son PIB et l’arrivée de 4000 nouveaux résidents nantis. Les Accords d’Abraham ont désenrayé les secteurs du tourisme, de l’éducation, de la santé, du commerce et de la sécurité.
Calquer le modèle Israélien
Les États signataires de cet accord messianique ont pris conscience que leur dernier rempart contre la déchéance reposait sur une étroite coopération, notamment avec un pays qui est parvenu à s’épanouir sans n’avoir jamais pu puiser dans son sol : Israël. En 1947, lorsque le premier plan de partage voit le jour, l’État Juif se voit attribué 55% de terres… arides. Dont une partie du désert du Neguev. Ainsi depuis sa création, Israël n’a eu d’autre choix que de faire preuve d’agilité et d’innovation pour survivre. La “Start-Up Nation” fait ses débuts en 1912 avec l’institut de technologie d’Israël. Classée comme la meilleure université du Moyen Orient par le classement de Shanghai et comme la sixième meilleure université au monde, le Technion est un exemple de la réussite et de la résilience d’une nation. Un modèle pour les pays du Golfe qui entament leur processus reconversion économique. Planifiant de se détacher de leur dépendance aux énergies fossiles grâce aux nouvelles technologies, d’ici 20 ans, les États du Golfe marchent dans les pas de l’État Hébreu.
Plus à l’est du rivage, en Extrême-Orient, il y a bien longtemps que la Chine a opté pour l’accroissement de ses échanges. Pilier de la mondialisation, ce régime puissant, contesté et contestable a lancé depuis 2013 une initiative ambitieuse. Les nouvelles routes de la soie traduisent le souci de maximiser le pouvoir chinois grâce à une intégration parfaite au modèle réticulaire qui prévaut aujourd’hui. N’est-il pas temps pour les pays du Proche Orient de renforcer la leur ?
Sources :
Mohammad-Reza Djalili (2010), Histoire de l’Iran contemporain, Repères
Mosab Hassan Youssef (2010), Le Prince Vert : Du Hamas aux services secrets israéliens, Denoël Henri Laurens (2017), Les Crises d’Orient, Fayard
Amin Maalouf (2019), Le Naufrage Des Civilisations, Grasset
Charles Saint-Prot (2019), Géopolitique des Émirats Arabes Unis, Karthala
Thomas Gomart (2019), L’Affolement du Monde 10 enjeux géopolitiques, Tallandier Christophe Blain & Jean-Marc Jancovici (2022), Le Monde Sans Fin, Dargaud Emmanuel Navon (2022), L’Étoile et le Sceptre Histoire Diplomatique d’Israël, Hermann
https://fr.wikipedia.org/wiki/Technion